Je ne savais pas spécialement pourquoi j'étais à cet endroit, à ce moment-là. Peut-être pour aller ouvrir mon bar, à sept heures du matin. Je déduisais cette heure en regardant le lever de soleil, à ma gauche. En y réfléchissant, je baissai la tête en la secouant légèrement de droite à gauche, tout en me moquant de moi-même. Il y avait des jours où je me surprenais. Parce que je n'étais absolument pas matinal d'habitude et qu'il me fallait au moins trois réveils pour espérer me voir me lever à dix heures. Mais ce matin, ce fût tellement plus facile. L'air de l'Australie semblait avoir un effet bénéfique sur moi. Je m'arrêtai alors que mes pas m'avaient conduis juste à côté de la plage. Je mis mes mains dans les poches de mon bermuda et commençai à admirer ce sable fin, à respirer l'air iodé et à écouter les vagues s'écraser contre les rochers, un peu plus loin. Ce que je devenais romantique ici.

J'avais franchement une dégaine de touriste. Mais après tout, ça me plaisait qu'on me prenne pour tel. Mon short long, mes tongues et mon chapeau qui de toute évidence, ne servait pas à me protéger du soleil, vu la position de ce dernier dans le ciel. Il y avait une légère brise qui était agréable, revigorante. Bref, tout ceci était une bonne matinée pour se balader. Chose que je ne faisais absolument jamais, d'ordinaire. Pour ne pas améliorer mon apparence douteuse à cette heure-ci, j'attrapai mon paquet de clopes qui titillait ma main depuis au moins cinq minutes. Une fois la clope au bec, je pus m'atteler à me détruire encore un peu plus les poumons. Cela faisait quoi, un mois que j'essayais d'arrêter de fumer ? Ah. Je n'avais vraiment aucune volonté de ce côté-là. Malgré les plaintes de la plupart des personnes que je connaissais, car j'avais la fâcheuse tendance à leur envoyer ma fumée de nicotine à la tronche.

Un vilain défaut, parait-il.

Je repensais aux nombres incalculables de fois où Ariel m'avait engueulé, à ce sujet. J'aimais tellement la taquiner de cette manière. Faire des choses qui la faisaient sortir légèrement de ses gonds. Puis lui parler de façon adorable en affichant ma jolie moue inspirant le pardon. Ça marchait à tous les coups. Un rictus se dessina sur mes lèvres accompagné d'une légère ride sur le coin de ma bouche. Le fait de penser à elle à cette heure-ci, seul vers une plage, ça commençait à ne plus me surprendre.

Après moult hésitations et sachant pertinemment que je n'avais pas à ouvrir mon bar avant dix heures du matin - j'avais donc au moins trois heures pour glandouiller - je franchis le pas et mis mon pied dans le sable. Une main dans la poche, l'autre habitée d'une cigarette, me voilà entrer officiellement sur une des plages les plus connus de Sydney. Ayant franchis une petite colline qui cachait véritablement la mer à mes yeux, je pouvais voir qu'il n'y avait pas foule à cette heure-ci. En même temps, à part quelques courageux pour faire leurs jogging, des amoureux -et encore - pourquoi des gens viendrait à la plage à sept heures du mat'. Je ne savais toujours l'heure exactement, mais le soleil commençait de plus en plus à pointer le bout de son nez.

Mon voyage de l'éternel célibataire - ça me donnait cette impression là, le loup solitaire qui marche seul sur une plage - se stoppa plus vite que je ne l'aurais crût. Alors que je m'approchais de plus en plus des vagues, mes yeux céruléens se posèrent instantanément sur une femme. Cette femme, affalée sur le sol, me faisait penser à une sirène échouée. Mais avec des jambes. Sans nageoires, donc. Enfin bref, pendant que mon cerveau me refaisait le remake de la Petite Sirène, je tapai mon bâton de nicotine avec mon index, pour que les cendres tombent et se noient dans le sable fin puis je le ramenais à mes lèvres, le glissant au coin. Pour faire le type classe. Mais bien sûr, la fumée un peu trop abondante se glissa jusqu'à mon œil. Je retirais la cigarette d'une main et alla me gratter mon orifice meurtris avec l'autre.

Je ne savais pas quoi faire. Elle était là allongée paisiblement, moi j'étais debout à quelques mètres de là. Ça faisait vraiment mec douteux qui reluque les jeunes femmes seules... Ses yeux étaient fermés et elle souriait. Peut-être qu'elle se foutait de ma gueule ?Je regardais l'horizon puis mon regard retourna sur la jeune femme. En fait, ce tableau était assez triste, mais beau. Moi aussi j'aurais aimé m'étaler dans le sable et faire le mort en écoutant les vagues. Mais ça ne faisait pas très masculin tout ça. Alors je m'abstenu.

Finalement, l'envie de sentir le sable chaud sous mes fesses prit le dessus et je me posais à terre, les deux genoux contre mon torse, les bras par dessus, croisés. La cigarette fût bientôt terminée quand le vent se leva d'un seul coup. Je fermai les yeux, la tête tournée vers le littoral pour admirer les vagues. Comme si je me laissais emporté.

Mon chapeau pensa apparemment la même chose. Sauf que lui, s'envola réellement.

« M-Merde ! » criais-je instantanément sans pouvoir contrôler la tonalité de ma voix, surpris.

Mes réflexes étant ce qu'ils étaient, je ratai la tentative désespérée de le récupérer au vol, en me relevant. Et ce dernier, semblant me narguer dans les airs une seconde, s'échoua sur l'eau, un peu trop loin de ma position, évidemment.

Sale bâtard de chapeau.
N'ayant absolument pas envie de me mouiller, même les chevilles, je regardais mon chapeau favoris se faire molester par les petites vagues. Puis je repensais à la demoiselle se trouvant non loin de moi, qui venait d'assister à ce spectacle, qui, d'un œil extérieur pouvait être drôle. Je passai la main sur ma tignasse, imaginant que des épis devaient être apparut. Même si vu ma dégaine actuelle, je passais plus pour un type baba-cool qu'un gentleman charmeur.
Le tout en soupirant. Je l'aimais ce chapeau, moi. Je n'avais pas la volonté, à cette heure-là, de jouer les sauveteurs en mer et d'aller le chercher. Et je me rendis compte que dans ma précipitation d'il y a quelques minutes, j'avais fait tombé ma cigarette, qui agonisait dans le sable.

« Cette journée commence vraiment mais alors vraiment très mal... Mes fesses retournèrent se poser au sol. Désolé d'avoir gueulé d'un seul coup, mais, ce chapeau m'avait couté un bras... Un soupire. Je parlais à la demoiselle sans me retourner, les yeux fixés sur mon chapeau qui commençait à s'éloigner. »

Ce chapeau, c'était toute une histoire. Je n'étais pas aussi inutilement sentimentale pour de telles broutilles la plupart du temps. Enfin, quand quelque chose d'aussi superficiel et petit vous coûte aussi cher, on a tendance à y être attacher plus qu'on ne le devrait. C'est pourquoi j'affichais actuellement une mine boudeuse, en soupirant toutes les trois secondes alors que mon chapeau s'éloignait de plus en plus de la plage, et donc, de moi. Je sentais une légèrement brise se nicher sur le haut de mon crâne, comme pour me rappeler que je n'étais plus habillé de ce satané couvre-chef. Cependant, je n'en avais pas oublié la présence de cette jeune femme mystérieuse à mes côtés. Elle semblait plutôt amusé par cette situation, ce à quoi je m'attendais, puisque j'entendais un petit ricanement s'échappant de ses lèvres.

Toujours assis dans la même position, sans avoir bouger d'un iota depuis quelques secondes, voire des minutes, je pivotais la tête légèrement sur la droite, pour qu'au moins mon œil puisse l'avoir en visuel. Je ne m'étais pas arrêté sur son physique, un peu plus tôt, puisqu'elle était allongée dans le sable. Je n'avais pas eu l'occasion de constater sa beauté. Une beauté simple mais très efficace. Enfin, c'est ainsi que je voyais les choses de là où je me trouvais. Mon regard croisa le sien. Je voyais qu'elle m'observait avec attention, ce qui me fit sourire. Un léger rictus se dessina donc sur mes lèvres, laissant place à ma traditionnel ride plus marquée que chez les autres, quand je souriais. On me disait d'ailleurs bien souvent que cela faisait mon charme, alors je ne m'en plaignais pas. Je détournais immédiatement le visage pour focaliser mon attention à nouveau sur le fugitif de paille.

« Vous comptez le laisser dériver ? » lâcha-t-elle d'un seul coup. Elle me laissa donc entendre sa douce voix, qui semblait fragile. Comme sa propriétaire, d'ailleurs. Les apparences étaient contre moi. On pouvait facilement croire que j'avais peur de l'eau, que je ne savais pas nager. Mais au contraire, la natation était un sport que j'appréciais, dans mes jeunes années. Pourtant, à ce moment-là, je n'avais absolument pas envie de plonger à la rescousse de mon chapeau. Peut-être parce qu'il n'était même pas huit heures du matin et que je n'avais pas assez de sommeil pour ces choses-là. Ou tout simplement par flemme. J'étais assez faible et peu courageux le matin. Mon regard se posa une nouvelle fois sur la femme, très naturellement. Je posais mes mains en arrière, dans le sable chaud, me laissant porter par mes bras solides, en prenant totalement appui sur eux.

« Je ne suis pas très chaud pour jouer les sauveteurs en mer, là, maintenant. Et puis... Je regardai une nouvelle fois l'océan, mon chapeau était encore plus loin qu'il n'y avait quelques secondes. Peut-être qu'il me reviendra par magie. J'affichai mon plus jolie sourire à la femme, alors que cette dernière fit de même, tout en s'étirant.

Je la voyais assise pour la première fois. Et mes soupçons quant à sa beauté se confirmèrent bien assez vite. Elle semblait toutefois assez perdue, perdue dans ses pensées, dans sa vie. Enfin, c'est ce que je ressentais comme ça, en l'observant. Sans savoir pourquoi, elle m'inspirait de la pitié, mais dans un sens bénéfique, bien entendu. Mon rictus charmeur muta en un sourire attendrissant.

Mes yeux toujours fixés sur elle, je la regardais se lever pour finalement s'arrêter juste devant moi, son sac accroché à son bras. Elle m'avait surprise, là. Je ne la pensais pas aussi spontanée. Il fallait croire que je n'étais pas doué pour me faire un envie sur les gens d'après leurs apparences. Je levai aussitôt la tête, me brisant la nuque en un angle droit, pour pouvoir atteindre son visage. Étant donné ma position actuelle, j'aurais aimé éviter une conversation avec son nombril. Parce que c'était ce que mon regard avait en face de lui, si je ne faisais aucun effort pour y remédier. Et ça pouvait paraître légèrement... tordu. Elle me fixa avec un sourire étrange. Ce que je fis également, en penchant la tête légèrement sur le côté, curieux de savoir ce qu'elle allait me sortir.

« Si vous avez peur de l'eau... Je peux toujours vous accompagner » Et effectivement, elle ne m'avait pas déçu. Je haussais un sourcil suite à cette proposition bien étrange. C'était aimable de la part d'une inconnue et personnellement, je n'aurais pas proposé mon aide à quelqu'un que je ne connaissais pas, comme ça. Je me surprenais, par ailleurs. Je n'avais pas tendance à être si amicale avec les inconnus. Mais le matin avait peut-être des côtés bénéfiques sur ma personnalité ?

Et puis, pourquoi pas ? Même si je n'avais pas vraiment envie de me mouiller à huit heure du matin, je n'avais qu'une vie. Autant en profiter. Et cette demoiselle me faisait bien rire. Suivre son petit jeu pouvait être assez distrayant, au moins le temps d'arriver à l'ouverture de mon bar. Je lâchais un petit soupire mêlé d'un léger sourire, en me levant d'un seul coup, m'aidant de mes bras pour me pousser en avant. Je finissais le mouvement avec un petit saut, montrant ma soi-disant motivation pour récupérer ce fichu chapeau à deux cents dollars. Si, si. Deux cents. On comprend ma douleur, maintenant, non ?

« Bon, j'suis partant pour la baignade. Si je coule, vous me sauverez, j'espère ? » Lancais-je tout en ricanant. Cette fois-ci, les rôles étaient inversés. Étant légèrement plus grand qu'elle - heureusement pour ma fierté de mâle, non ? - je devais baisser la tête ainsi que mes yeux pour pouvoir contempler les siens. Magnifique d'ailleurs.

Sans trop de délicatesse, je donnais deux coup de pieds successifs dans le vide pour retirer mes tongues, alors que je venais de pivoter légèrement, pour ne passer atteindre accidentellement la jeune femme aux cheveux légèrement ondulés. Mon bermuda allait certainement être entièrement mouillé, alors que mon chapeau était à présent vers une zone assez profonde mais où j'aurais probablement encore pied. Mais il était toujours à porté, en nageant quelques mètres.

« Au fait... Je déboutonnais ma chemise blanche, qui était à la limite du transparent d'ailleurs. Il me fallait bien ça pour ne pas avoir chaud tout en portant quelque chose. La chaleur de l'Australie, c'était quelque chose à laquelle il fallait que je m'adapte. Je m'appelle Dwayne. Vaut mieux que tu le saches, si je me fais attaquer par un requin et que tu dois appeler les secours non ? » Je continuais de sourire tout en lâchant ses propos. J'avais également décider subitement de la tutoyer. J'étais encore assez jeune pour me permettre d'être spontané, après tout.

Une fois ma chemise ouverte, je la retirais, la laissant tomber dans le sable, à côté de mes tongues, avec une insouciance certaine. Je n'avais pas peur qu'on vienne me piquer mes fringues. Les voleurs dormaient à cette heure là. Pour ce qui était des requins, je savais qu'ils ne s'aventuraient pas si près de la plage, mais quand même. Les informations avaient toujours fait en sorte qu'on ait peur d'eux. Et le fait que j'avais maté les Dents de la Mer en Blu-ray, le précédent soir, n'arrangeait pas les choses.

Prenant de l'avance, je dépassais la jolie jeune femme pour m'aventurer un peu plus près vers l'océan. Les vagues s'échouant sur la plage, c'était agréable à voir. Les aller-et-venu de l'eau à mes pieds nus, c'était tout aussi plaisant. Je mis mes mains dans les poches de mon short long, le temps de m’imprégner du contact humide de l'eau, attendant patiemment que la demoiselle me rejoigne. Une légère brise un peu plus fraîche que les autres me fit frisonner. J'avais presque oublié que j'étais torse-nu. Quoi de plus normale sur une plage, de toute manière ?

J'arrive, mon chapeau.