« ... et le mec dit ; j'te croyais plus fort que ça, Batman ! Il se mit à rire bruyamment, tapant son poing contre le comptoir du bar... Elle est terrible non ?! »

Je souriais, de mon plus beau sourire, à cet homme fortement éméché qui se dandinait sur son haut tabouret depuis bientôt deux heures. Dès le départ, il avait commencé à me parler et moi, comme un hôte impeccable, j'avais tenu la discussion. Mais j'avais senti qu'il allait vite partir dans des élucubrations de poivrots à partir de son septième verre de whisky. Enfin, en tant que gérant et propriétaire, je savais à quoi m'attendre lorsque j'avais décidé d'ouvrir ce bar. Tout en continuant de lui envoyer un sourire faussement vrai, je pris un verre vide que je venais de nettoyer pour passer le chiffon, préalablement niché sur mon épaule gauche, à l'intérieur et l'essuyer correctement. Aujourd'hui, j'étais le serveur, le barman et même le cuisinier. Mes deux employés n'étant pas là. Pour le barman musclé, il était tombé malade et ma jolie serveuse avait du se rendre à un mariage. Alors, j'étais seul. Et je n'étais pas habitué à être partout à la fois.

Heureusement, la journée allait bientôt prendre fin. Enfin, c'est ce que je me disais, pour essayer de tenir le coup, alors que je regardais l'horloge juste derrière moi, en soupirant. Vingt deux heures. Et je fermais le bar à deux heures du matin. Chienne de vie.

BAM. « Un aut' verre, sviouplait ! » me demanda l'homme, juste après avoir finit sa dernière gorgée et posé son verre sur le comptoir, devant moi, sans retenu. Le bruit m'avait limite fait sursauté, parce que j'étais perdu dans mes pensées. Enfin, je voulais voir si j'arrivais à accélérer le temps en fixant sans relâche l'horloge.
Résultat numéro un ; non. Résultat numéro deux ; je suis un idiot.

Ce type commençait sérieusement à m’irriter, la fatigue de la journée n'arrangeant rien. Mais il consommait. C'est-à-dire qu'il me payait mon loyer et les dettes que je m'étais attirées en achetant cet endroit. Et accessoirement, il me donnait de quoi payer mes deux employés. Le client est roi, comme on dit. Je pris son verre, en acquiesçant poliment et attrapai la bouteille sérieusement entamer de Whisky, pour en verser dedans. Finalement, il eut à peine le temps de finir son verre qu'une femme hystérique débarqua dans le bar, pour lui gueuler dessus amoureusement.

Pauvre gars, j'aurais aimer te soutenir pour honorer le coup d'honneur des hommes mais là..
Je regardais la scène, toujours un verre à essuyer dans la main, avec un air amusé sur le visage. Enfin, je ne fus pas amusé très longtemps, lorsque la femme me lança un regard meurtrier, avant de laisser des billets sur le comptoir et trainer son mari ivre dehors.

« Et passez une bonne soirée ! » marmonnais-je d'un ton fortement sarcastique, comme mes paroles d'ailleurs, assez fort pour qu'elle entende avant de franchir le seuil de la porte. Je souris et pris les dollars que mon client, qui était très certainement entrain de se faire disputer, m'avait laissé. C'était toujours ça en plus.
Une fois l'argent encaissé, une cliente vint me commander deux coca-cola pour la table au fond.
Avec un sourire charmeur sur mon visage, je me hâtai de remplir deux verres et de les emmener à ladite table.

« Et voilà pour vous, charmantes demoiselles. Je posais les deux verres et observai une des deux filles sortir son porte-monnaie. Sourire de stratégie commerciale enclenché. C'est partit. Je mimai un refus de la main, tout en m'écartant de la table. Comment oserais-je faire payer deux splendides jeunes femmes ? Cadeau de la maison ! »

Effet Dwayne garantis ou remboursé. Elles ricanèrent dans leurs coins alors que je m'éloignais pour regagner mon comptoir, un sourire satisfait sur les lèvres. Et deux clientes fidèles en plus, deux.
Entre temps, un visage qui ne m'était pas inconnu semblait s'être installer sur un des haut tabourets de mon comptoir. Aishlynn. D'ailleurs, je m’exerçais toujours dans mes pensées à prononcer son nom avant de lui adresser la parole. J'avais tendance à l'écorcher sévèrement, si je ne faisais pas attention.

« Tu sais que ce visage fatigué ne te va pas du tout, belle brune. Commençais-je, en marchant vers elle, pour passer derrière le comptoir par la suite et me tenir face à elle. T'es venu chercher un petit remontant à mes côtés ? »

Ma méthode de drague n'était pas aussi mauvaise, je rassure tout de suite. C'était seulement un petit jeu que j'avais décidé d'installer entre elle et moi. J'aimais particulièrement sa personnalité assez chevaleresque, elle me ressemblait beaucoup sur certains point. Et ça, c'était agréable et très... amusant. Malgré tout, elle semblait épuisé et je me demandais bien la raison. Sa journée de boulot, je présumais. La café où elle bossait, marchait bien en ce moment. Je le savais, parce qu'il n'était pas si loin de mon bar et qu'il me concurrençait parfois.

Je la fixais avec mes yeux céruléens, en lui adressant un haussement de sourcils aguicheur. Suivit d'un clin d’œil qui transpirait la mauvaise drague.

« Alors, trêve de bavardages, qu'est-ce que je te sers, Aish... ? » J'avais prononcer « Aiche » avec un terrible accent, pour la taquiner légèrement. Je saisis un verre et repris mon visage d'homme d'affaire prêt à encaisser la thune.

Je ne la connaissais pas depuis si longtemps que ça, tout compte fait. Elle était venu dans mon bar franchement ouvert il y a quoi, deux semaines de ça ? Mais j'avais l'impression qu'on était ami depuis des années, actuellement. Et j'aimais particulièrement ce genre de relations amicales. Celle où rien n'est jamais sérieux dans les paroles ou les actes. On vivait, on agissait, on parlait selon nos envies du moment. Sans complexe ou bonne conduite à tenir. Les femmes comme elle, ça ne courait pas les rues et je préférais devenir son ami plutôt que son ennemi.

Sa réaction suite à mes légères provocations ne se fit pas attendre. Et comme d'habitude, ça valait le détour. Elle me répondit d'un ton tellement sarcastique que ça pouvait se lire sur son front.

« Non vois-tu..J'ai passé une merveilleuse journée, beau brun. J'ai croisé des licornes, des bisounours, et même, je dis bien « même », les petits poneys ! Ils voulaient me faire un bisou, mais ils étaient pressés, donc je suis légèrement vexée. »

Je pouffai de rire, alors que je sortais un verre et que j'essuyais d'un coup de chiffon le comptoir devant moi.

« Ils ne savent pas ce qu'ils viennent de manquer, ces saletés de bestioles imaginaires. T'embrasser, ça doit être quelque chose à mon avis, ils savaient qu'ils perdraient leurs innocences s'ils franchissaient le cap. » Répondis-je en lui servant son verre de vodka qu'elle m'avait commandé il n'y a pas trois secondes. J'avais bien évidemment sourit une nouvelle fois alors qu'elle me proposait d'être la victime d'un meurtre. Dont elle serait l'auteur, pour sûr. Le tout en me traitant de crétin. J'aimais son franc-parler, au moins, elle disait tout haut ce que les autres pensaient tout bas. Et j'étais sûrement un vrai crétin, d'ailleurs.
Ce que je soupçonnais était apparemment, le cas. Sa journée avait du être éprouvante. Puisque cela faisait la troisième fois en quelques minutes que je la voyais se masser les tempes en soupirant. Elle n'était pas si énervée, d'habitude. Enfin, de ce que j'avais pu observé. Je gardai le silence, en lui glissant le verre dans les mains.

Je la fixai avec mes yeux céruléens, les bras posés sur le comptoir, le dos courbé. J'étais encore dans mon mode de dragueur du dimanche. Même si elle ne voulait pas jouer, moi, j'avais très envie de la taquiner.
Et puis, titiller une personne déjà énervée, c'était encore plus drôle, de mon point de vue.

Alors accroche-toi, ma petite Aishlynn.
« Tu n'as pas un homme, sous la main ? Je haussai un sourcil, suite à cette demande pas très subtile de sa part. Sans que je n’eus le temps de placer une petite pique amicale, elle reprit immédiatement. Un homme, voilà ce qu'il me faut, un homme. Brun, ou châtain, avec de magnifiques yeux, et ...Avec des muscles. »

Décidément, elle me faisait rire ce soir. Car oui, je n'avais pas pu m'empêcher de rire, tout en essayant de le cacher, la tête baissée et donc, légèrement cachée par le comptoir. Et elle voulait que je lui en présente. Pour le peu qu'on avait parlé ces deux dernières semaines, je n'avais même pas pensé qu'elle était célibataire. Comme quoi, je ne devais pas me fier aux apparences. Et très franchement, elle ne devait pas être facile à vivre. Pour l'accompagner dans le clan des célib' endurcis, je sortis deux shooteurs pour vodka. Histoire de boire cul-sec, et de s’inhiber de l'alcool plus vite.

« Laisser boire une si jolie jeune femme toute seule, ça serait un crime. Je n'ai pas envie d'avoir un casier judiciaire en Australie. »

Je lui repris son verre des mains, au passage, tout en lui murmurant de patienter quelques secondes. Commençons les choses sérieuses.

Je pris la bouteille de vodka et d'un geste, presque maitrisé, je remplissais les deux shooteurs du liquide russe, avec excitation. Même si je travaillais ici et que l'endroit m'appartenait, cela faisait longtemps que je n'avais pas pris le temps de boire. C'était un comble, non ? Moi qui appréciait particulièrement ça.

« Désolé, je ne peux te proposer que mon humble personne pour passer ta soirée, darling. Si tu m'acceptes, évidemment. Je ne suis pas le plus sexy des bisounours mais bon, je tente ma chance. » Je lui tendais un des deux shooteurs. Quant au deuxième, il se retrouva bien assez vite entre mes lèvres et j'avalai d'un seul coup l'alcool le remplissant. Pour reposer brusquement le petit verre sur le comptoir. Forcément, je fis une légère grimace, parce que c'était tout de même fort.

« Et ça tombe bien, je suis brun et je suis particulièrement fier de mes yeux. » reprenais-je en me servant un nouveau verre. Je soulevais légèrement ma chemise noire, que je n'avais pas fermée entièrement d'ailleurs, j'avais laissé deux boutons détachés en haut et la même chose en bas. Je secouai légèrement la tête tout en haussant les épaules et en admirant mon torse d'athlète. Enfin, c'est ainsi que je le voyais. Et pour les muscles, je dois faire l'affaire. » Je lui balançai mon éternel sourire, qui creusait une ride sur ma joue droite.

Aah, j'étais d'humeur à frimer, moi. La vodka, ça n'allait pas arranger les choses. Je portai le verre une nouvelle fois à mes lèvres. Et une nouvelle gorgée, une !

L'alcool et moi, on s'entendait plutôt bien. On s'était rencontré durant mon adolescence. J'avais commencé aux petites fêtes lycéennes, les périodes où je n'avais que faire de cette stupide loi interdisant aux mineurs de consommer de l'alcool. Jusqu'à maintenant, j'avais été plutôt bien entrainé à tenir même sous le coup de plusieurs verres de whisky. Alors ce n'était pas de la vulgaire vodka qui allait me faire tomber, à ce moment-là. La jeune femme en face de moi m'étonnait tout de même. Il était rare de voir une fille tenir aussi bien l'alcool, sans paraitre sexiste, c'était ma réalité à moi. Je l'observais enchainé verre sur verre du liquide russe avec un sourire amusé. Elle devait avoir de bonnes raisons pour boire autant et aussi vite. Un chagrin d'amour ? Ou juste de l'épuisement dû à son boulot. J'avais constaté depuis son arrivé qu'elle se massait les tempes vigoureusement, comme si elle souffrait d'un mal de crâne incurable. La saouler, ce n'était peut-être pas le meilleur des remèdes mais ça la soulagerait pour quelques heures, au moins.

« Ah, parce que..Tu avais un casier judiciaire en Amérique ? » Un casier judiciaire, non. Mais il était vrai que j'avais fait pas mal de connerie dans ma jeunesse. Mais ça s'était arrêté aux heures de colles à mon bahut. Beaucoup, beaucoup d'heures de colles. En repensant à mes bêtises, un sourire se dessina sur mes lèvres, alors que je leur portais une nouvelle fois un petit shooteur remplit de vodka pure. Je l'avalais d'un coup et sans trop savoir pourquoi, mes pensées se tournèrent vers Ariel, comme à chaque fois que je commençais à trop picoler.

« Non, pas de casier pour moi. Je suis un saint, ça se voit non ? » lui répondis-je avec un air taquin sur le visage. Je ne croyais pas moi-même ce que je venais de dire. Je n'étais de ses gens désintéressés, qui donnaient sans compter ou qui étaient gentil envers autrui par une soudaine envie. Mais je n'étais pas le bad boy de base non plus. J'étais plus neutre, en fin de compte. Un type normal. Et ça me suffisait largement.
Aishlynn se rapprocha légèrement de moi, puis se mit à se comporter comme une criminelle en cavale. Elle m'avoua, en chuchotant le plus faiblement possible qu'elle avait déjà fait de la prison pour une banale histoire de vole dans un magasin. D'humeur très moqueuse ce soir, je ne pus m'empêcher de gâcher sa soi-disante discrétion.

« QUOI ? T'as volé une p'tite culotte dans une boutique de lingerie ? MONSTRE ! » m'écriais-je assez fort pour essayer de l’embarrasser un minimum. En tout cas, les vieux clients de mon bar avaient une bonne ouïe puisque presque tous se retournèrent pour regarder dans notre direction. Et ce fut sans surprise que je me mis à ricaner, en observant la réaction de la demoiselle.
Je restais debout depuis quelques minutes, à ingurgiter vodka sur vodka et l'alcool commençait à faire trembler mes muscles. J'avais une folle envie de m'asseoir et nous n'avions bien évidemment pas prévu de chaises ou tabourets de ce côté du bar. Je me redressais, étant préalablement très appuyé sur mon comptoir, puis, un shooteur dans la main, je me mis à marcher pour faire le tour et passer de l'autre côté.
Je pris place à droite d'Aishlynn, sur un tabouret. Une fois assis, à ses côtés, je repris une gorgée d'alcool. J'avais bien évidemment pensé à prendre la bouteille avec moi, elle trônait d'une façon impériale sur le comptoir, en face de nous. Je ne regardais pas ma comparse de beuverie, me concentrant plutôt à boire mes verres, me tenant face au marbre de la table longue de mon bar.

« Oh chéri...T'es mignon.. Mais...Un peu trop américain pour moi, en ce moment. » me lanca-t-elle soudainement. Alors elle n'aimait pas les américains ? Ou elle n'aimait plutôt les hommes qui se vantaient beaucoup, comme je venais de faire. Elle glissa son verre dans ma direction, en demandant de le remplir encore une fois. Je ne savais même plus à combien de verres nous en étions. Étant donné que la bouteille commençait à se vider dangereusement, je pouvais facilement en conclure que nous consommions pas mal à la seconde. Pour ne pas qu'elle se déshydrate, je m'empressais de remplir son petit verre.

« Tu préfères les anglais ? C'est vrai que leurs accents est assez drôle. rétorquais-je presque instantanément après ces paroles. Alors dis-moi Aish, t'as eu une peine de cœur pour vouloir picoler autant ? » Je tournais la tête sur ma gauche pour pouvoir regarder son visage de profil. Je n'étais pas très doué en relation amoureuse pour donner des conseils mais peut-être que les litres de vodka allaient réveiller en moi un Casanova de renom. Et je continuais de lui balancer mon éternel sourire séducteur, tout en ayant bien assister sur le « Aish » sachant pertinemment qu'elle ne supportait pas quand je l’apellais ainsi.

« T'sais, je pense pas que tu trouveras ton bonheur dans mon bar aujourd'hui, niveau testostérone » Je regardais autour de moi en me redressant sur mon tabouret. Puis je me resservis une nouvelle fois. La dernière goutte s'écrasa lamentablement dans mon verre. Je le savais. Je le savais que j'aurais dû acheter des bouteilles contenant plus d'alcool. Oui parce que je voulais économiser tout ce qui pouvait être économisé, comme mon bar venait d'ouvrir. Et j'avais donc choisis de petites bouteilles de vodka. Nous venions de liquider cette pauvre demoiselle en quelques minutes.

« Ah. Elle est morte, celle-là. » Je reposais la bouteille sans trop de délicatesse sur le comptoir en me levant du tabouret. Je pris une pause victorieuse assez ridicule, les poings en avant, les deux pouces en levés et un sourire surjoué. « J'vais en rechercher une autre pour sûr, Dwayne assure ! » Peut-être que l'alcool avait déjà atteint mon cerveau. Vu à la vitesse à laquelle j'avais gober les verres, c'était on ne peut plus normal. Je me tenais encore assez facilement debout, sans marcher de travers - pour l'instant - et me voilà une nouvelle fois de l'autre côté, en mode barman. Je me penchais pour ouvrir le placard afin de trouver notre sauveuse, la seconde bouteille.

Après quelques secondes de recherches intensives, je trouvais enfin ce que je cherchais.
« AH ! La voilà ! » Je la soulevais comme si c'était un trophée et j'affichais un sourire satisfait. Cependant, un peu trop sûr de moi, elle m'échappa des mains une fraction de secondes. Et miraculeusement, je réussissais à la rattraper très vite avec un « Whuups-là » qui s'était échappé de mes lèvres. Je la posais saine et sauve vers le verre d'Aishlynn, l'invitant par un regard suggestif à se servir elle-même.