But we still, hold on
« Un peu plus sur la gauche. Une pause, la tête légèrement penchée sur la gauche, les bras tendus devant, je singeais le type sur l'echelle juste devant moi, un réflexe idiot, certes, mais humain. Alors bon ! Ah... FAIS GAFFE ! » Bam.
Il semblait bien que mon nouvel employé n'avait absolument aucun équilibre. Ce que je pensais, marmonnant quelques vulgarités parce que je soufrai, atrocement, même. Après tout, je venais de me recevoir un grand Australien sur la tronche et franchement, il avait du engloutir pas mal de steak dans sa vie, parce qu'il pesait lourd l'animal. J'aurais peut-être du choisir la toute jolie et toute fine serveuse que je venais également d'engager, il y a peu. Celle qui me regardait, avec un air niais, alors que le tas de muscles qui me servait de barman m'écrasait toujours la cage thoracique. Ne m'aide pas, surtout, merci. Tout ça pour un cadre, oui, mais j'y tenais. C'était un cadeau de mes parents restés aux États-Unis et ça collait plutôt bien avec l'ambiance de mon bar flambant neuf. Bref. J'étais toujours coincé et le type, au lieu de se lever en vitesse, ne faisait que se plaindre de s'être fait mal au dos. Je ne sentais plus mon torse, moi, et je ne me plaignais pas autant. Pris de désespoir, j'attrapai son épaule avec ma main pour le pousser et pour pouvoir enfin me dégager.
Ho hisse. Et voilà, j'étais enfin libre.
« Pardon, Dwayne, mais j'avais vraiment le vertige en haut... ▬ D'une échelle d'un mètre à peine... rétorquais-je immédiatement en me relevant, avec un petit sourire narquois, le tout en ricanant. »
Mais mon attitude faussement provocatrice se termina très vite lorsqu'une vive douleur apparue à mon bras droit. Génial. J'étais droitier, en plus. Mon premier geste fût d'attraper mon épaule droite avec la main non blessée et de gémir quelque peu. A mon tour de me plaindre.
« Merde, ça fait un mal de chien ... » marmonnais-je doucement en prenant place dans un des fauteuils de mon lieu de travail. La serveuse se rua à mes côtés, inquiète, en me demandant si j'allais bien.
Et visiblement, non, je n'étais pas dans une forme olympique. C'était ce que je venais de lui répondre, un sourire aux lèvres, un oeil légèrement plissé, signe de ma souffrance. Le barman proposa alors de m'amener à l'hôpital. En mâle alpha en peu trop fier, je lui avais rétorqué d'office que ce n'était pas la peine. Jusqu'à ce que mon bras frôle légèrement l'accoudoir de mon fauteuil. Aie. Génial. Combien cela faisait-il de jour que je venais d'emménager à Sydney ? Trois semaines, tout au plus. Et me voilà déjà à visiter les hôpitaux. Bienvenue à moi.
Arrivé là-bas, mon agresseur involontaire alla me chercher un formulaire à remplir pour se faire prendre en charge par la suite. La jolie blonde de serveuse était restée au bar, pour d'éventuels clients. Ce n'était pas l'heure du pique de fréquentations et il venait d'ouvrir mais quand même, j'allais pas perdre du fric pour un cadre. Ce fichu cadre. En avant pour étaler ma vie sur une feuille de papier, en écrivant de la main gauche. J'avais pitié pour celui qui allait lire ça, vu la qualité de mon écriture en tant que gaucher. « Ah, patron, vous êtes originaire d'Arizona ? » me lança Joey, un air curieux et un sourire colgate sur le visage.
En effet, comme je lui faisais comprendre, je suis né à Flagstaff, une ville sympathique de l'Arizona. J'adorais cette ville, et surtout le gigantesque cratère de météore à l'extérieur de la ville, qui a fait sa renommée mondiale. J'y jouais souvent avec mes potes, quand j'avais dix ans, même si on se faisait souvent engueuler parce que c'était dangereux et surveillé. Ce souvenir me fit légèrement sourire alors que j'écrivais ma date de naissance. Et le nom de mes parents. Cela faisait vingt-cinq ans que ma mère avait accouché dans un des hôpital de la ville. Ma mère, professeur de français dans un lycée, une femme plutôt gentille mais avec qui il ne fallait pas trop déconner. Elle avait un sens de l'humour assez limité et avait toujours peur pour moi. Et comme j'étais un gamin pas très futé, je m'amusais à lui faire peur, à rentrer tard ou même à sécher quelques cours ennuyeux. Autant dire que je n'étais pas un fils très facile à vivre ou à éduquer. Et même maintenant, je doute que je sois le parfait fils mais au moins, je suis plus responsable qu'avant, enfin, un peu plus. Mon père, un gynécologue assez réputé, un homme assez drôle, en fait. Alors que ma mère était plutôt une maniaque du contrôle, lui, il profitait de la vie au jour le jour, sans se prendre la tête. Je me suis toujours demandé comment deux êtres si différents avaient pu finir ensemble. Avec lui, j'ai pu profiter de mon enfance assez librement. Si je voulais sortir avec des amis ou si je devais montrer mon bulletin désastreux, j'allais automatiquement vers lui. Et ma mère enrageait. Mais je ne vais pas faire ma mauvaise langue, j'étais très heureux, qu'importe l'endroit où j'habitais. Car oui, mes parents avaient divorcés vers mes cinq ans. Alors je voguais entre Flagstaff du côté de ma mère et Los Angeles pour mon père. Ils semblaient pourtant bien s'entendre, même divorcés. Ce fût quelques années plus tard, dans ma période d'adolescent rebelle ayant marre de voyager autant, que mon père m'expliqua qu'ils avaient été meilleurs amis pendant un bout de temps et avaient commencer à sortir ensemble sans vraiment s'en rendre compte. Le mariage, le bébé, la maison, tout ça se suivit très vite, et mes parents, qui pensaient être amoureux furent confronter à l'évidence, ils n'étaient pas amoureux l'un de l'autre.
De mon côté, ayant à présent tout à fait compris, je respectais cela. Autant passer le reste de ses jours avec la personne aimée d'un amour vrai et sincère. L'amitié ne suffit pas, par moment. Finalement, j'avais finis de remplir les grandes lignes du formulaire concernant mon identité. Une infirmière souriante vint à mon secours et je lui envoyai mon plus séducteur des sourires pour l'en remercier.
Quelques heures plus tard, j'étais rentré dans mon appartement, une attelle soutenant mon bras meurtris. Comme d'habitude, je jetai mes clés d'appartements un peu n'importe où et je m'affalai sur mon canapé, soupirant pendant au moins deux secondes entières. Ma tête était légèrement surélevée, appuyée sur un oreiller qui lui-même se trouvait sur l'accoudoir de mon divan. Je tournai la tête sur la gauche pour regarde mes cartons. Hé ouais, mon petit appartement australien était envahit par ces boites d’emménagement. Et ma soudaine semi-infirmité n'allait pas arranger les choses. Mes yeux se heurtèrent à une photo encadrée, posée sur la table basse d'à côté. Elle n'avait rien à faire là, évidemment, mais l'état apocalyptique de mon salon pouvait expliquer qu'aucune chose n'était à sa place. Sur la photo, je me voyais, un poil plus jeune, posant, souriant, m'amusant, avec mon amie de toujours. Ariel. En la regardant fixement, cette image était sacrément clichée. Mais nous, on aimait bien. Elle souriait aussi et de la voir ainsi, ça me faisait toujours du bien. Depuis notre enfance, d'ailleurs.
Ariel et moi, on se connait depuis... Je ne me souvenais même plus. Des années, une décennie ? Peut-être même plus. Je l'avais rencontré quand j'habitais chez mon père, à Los Angeles. Ce fût comme une révélation, même si j'étais un gamin encore à l'époque. Cette fille allait devenir quelque de très important pour moi, quelqu'un que je voudrais éternellement protéger. De ce côté là, j'étais pas très original. Voire même lourdement banale. Je décochai un sourire. Parce qu'elle était la fille très studieuse, alors que j'étais le cancre de service, toujours prêt à faire des conneries. Au moins, je la faisais bien rire. On a grandit comme ça. En se côtoyant limite tous les jours, physiquement ou verbalement - grâce à notre ami, le téléphone - C'était essentiel pour moi. Et ça l'est toujours.
Mon rictus disparût alors que je repensais au moment où elle m'avait annoncée qu'elle partait pour Sydney, afin de retrouver sa mère biologique.
Je l'avais toujours soutenue, sauf quand j'estimais que ce qu'elle faisait était complétement idiot ou que ça ne m'arrangeait pas vraiment et pour le coup, je n'avais pensé qu'à moi en lui disant de rester aux États-Unis. A Los Angeles, à mes côtés. Je ne pouvais pas cacher ma totale aversion à l'idée qu'elle parte seule, aussi loin. Comme un homme trop protecteur avec sa petite-amie. C'est à ce moment là, précisément, que j'ai commencé à me poser des questions quant à mes sentiments. Car oui, niveau sentimentale, j'étais, je suis et j'ai toujours été à la ramasse. Draguer une femme, c'est simple pour moi mais quand les sentiments viennent se mêler à l'histoire, c'est plus compliqué et j'ai tendance à fuir. Je me redressai sur mon canapé, attrapai la télécommande et allumai la télé, me laissant aller en arrière, mon dos correctement coincé contre le dossier. Je l'aimais ? Peut-être. J'essayais le moins possible de me tracasser avec ces questions-là.
Pourquoi j'étais venu ici ?
Ma première excuse était d'accomplir mon pseudo rêve de vivre en Australie. Ma deuxième excuse était de pouvoir recommencer une nouvelle vie, oublier mon job de vendeur de vêtements à L.A et d'ouvrir un bar. Mon bar. Et la troisième excuse que je réussissais à me trouver au moment où une publicité pour une bière célèbre passait à la télévision, me semblait totalement égoïste mais c'était peut-être la seule vraie raison, qui sait ? Mon yeux dérapèrent une fois de plus sur la photo d'Ariel et moi pour revenir aussitôt aux débilités télévisuels. Je ne pouvais pas m'empêcher de sourire, de soupirer tout en secouant la tête.
Plus qu'à aller me chercher une bière dans mon frigo vide. |