« Misérable, je ne suis qu'un misérable. Quelqu’un qui finit mort sans qu’on s’en rende réellement compte, piégé au fond d'un trou, parce qu’on ne fait pas attention à ce genre d’individu. Quelqu’un qui passe inaperçu, sur qui on ne se retourne jamais au détour d’une rue. Quelqu’un qui fait peur, parfois, dans des sauts d’humeur trop brusque pour être réels. Quelqu’un qui semble tout seul au monde, mais surtout seul contre tous. A devoir lutter en permanence contre des forces divines qui vous empoisonnent la vie. Abandonné, désespéré et salit. On finit par se méfier des gens, comme s’il voulait tous faire du mal d’une façon ou d’une autre. On devient craintif, phobique de tout ce qui nous entoure. A la limite de la folie. Dans ces cas-là, on devient solitaire, pour éviter de souffrir. Et froid, au cas où quelqu’un parviendrait à s’approcher de trop prêt. Puis on montre une autre facette, une qui semble ne pas pouvoir exister au fond d’une telle personne. Sadique et manipulateur. Comme une étrange façade pour se protéger des forces du mal. Un mur de béton. Un rideau de fer. Dans le noir, on se surprend à avoir peur. Le souffle haletant, le cœur battant la chamade, le sang frappant énergiquement contre les tempes. On devient dingue. Survolté par une poussée d’adrénaline. On prie pour que la lumière revienne, pour apaiser les craintes. Mais elle ne vient pas. On pense alors à la mort, on a peur d’être coincé, prit à tout jamais dans les filets d’un chasseur. On frappe les murs, comme un animal en cage cherchant désespérément la sortie. On sent le sang jaillirent de nos mains, mais la souffrance fait plus de bien que de mal. Alors on continue. Encore, et encore. Jusqu’à ce qu’on cède. Qu’on accepte ce sort dont on pensait pouvoir s’échapper. Et on comprend finalement qu’on est soumis, à tout jamais. Que notre propre vie appartient à quelqu’un d’autre. Que la liberté n’existe pas, ou plus. On se retrouve mort depuis l’intérieur. Parce qu’au fond, c’est la vérité. »

Don't worry about me, I'm not your tragedy.

Peu importe comment l'histoire débute. Tout le monde se fiche éperdument de connaître le détail d'une naissance, même catastrophique. Il y a, sur cette terre, des gens qui aiment la vie comme il se doit, acceptant tant bien que mal les hauts et les bas. Tandis que d'autres, eux, possèdent un sentiment qu'on nomme vulgairement inutilité. C'est dans ce sentiment que le jeune Stoner a grandi. L'histoire aurait pu être rose, remplie de joie et de bonheur. Mais elle ne l'a jamais été. Austin. Ce nom aurait pu paraître original, s'il ne provenait pas de sa ville de naissance. À vrai dire, inutile de préciser que la mère n'avait pas d'idée concernant un prénom. Et puis, à quoi bon en chercher un ? Au moins, en grandissant, il ne risquerait pas d'oublier l'endroit de sa naissance. Un peu comme si l'on voulait marquer dans sa mémoire certains éléments de son enfance future.

« Je ne sais pas. Je sais que je ne devrais pas dire que je ressens une angoisse, une fois le soir venu. Tout ça parce que je suis un adulte, et qu'un adulte, ça n'a pas peur d'un détail. Je ne sais pas non plus pourquoi, des années après, je fais toujours des cauchemars. Il y a toujours quelque chose qui m'échappe, et je n'arrive pas à comprendre quoi... »

Les trois premières années furent probablement les plus calmes, bien que personne ne s'occupait vraiment d'Austin. Sa mère, qui l'avait eu bien trop jeune, était souvent absente. La journée, elle travaillait d'arrache-pied pour pouvoir payer les factures à la fin du mois. Ou du moins, c'est ce qu'elle disait. Car en réalité, dès la nuit tombée, la jeune femme enchaînait bouteille sur bouteille, cherchant à fuir une réalité trop lourde à supporter pour ses frêles épaules : sa vie. Cette vie qui n'avait été qu'une longue succession d'emmerdes en tout genre, comme un père devenu alcoolique qui ne s'était pas occupé d'elle et une mère qu'elle n'avait pas eue l'occasion de connaître. Alors, un enfant, c'était la goutte de trop. Elle savait qu'elle ne serait pas capable de l'assumer, puisqu'elle n'était déjà pas capable d'assurer dans sa propre vie. Quant au père, elle ne l'avait vu qu'une seule fois dans sa vie et ne connaissait même pas son nom. Elle ne se souvenait même plus de son visage. Et puis, au final, c'était peut-être mieux ainsi. Au moins, lui, il n'aurait pas à se soucier d'une vie en plus de la sienne.

He's the man behind the mask.

Le temps passe, sans se préoccuper de quoique ce soit. Les secondes, les minutes, puis les heures. Les jours, les semaines, les mois et les années. La vie avance, sans arrêt ni retour en arrière possible. Beaucoup de choses se passent en cinq ans de vie. Après quelques années, sa mère avait fini par se trouver un mec qui tolérait la présence d'Austin. Un type comme elle, qui était souvent dans un état second. Parfois, il avait tendance à confondre Austin avec un punchingball ambulant, particulièrement quand il avait trop bu, ou qu'il était en colère. Certaines fois, il trouvait une excuse pour pouvoir lui coller une baffe sans raison, juste parce qu'il était cruel de nature. Et, lorsqu'il en avait marre, il lui arrivait d'enfermer l'enfant dans une pièce, pendant des heures, ignorant ses cris. Cet homme ne ressentait aucune pitié. Son cœur était fait de pierre. Mais de cela, personne ne trouvait rien à redire. D'autant plus qu'il ne se contentait pas de frapper Austin. Sa mère aussi, fût souvent victime de ses nombreuses colères. Elle n'osait même plus protester contre lui. La peur était devenue un quotidien parfois difficile à supporter pour tout le monde.

Cela dura jusqu'au jour où, pris de doutes, les voisins contactèrent les services sociaux. Austin fût donc placé en foyer. Sa mère avait fini par le délaisser complètement, ne voyant plus que sa propre souffrance, l'abandonnant sous ses yeux de son plein gré. Aux yeux des services sociaux, il n'était qu'un autre gosse craintif. Un autre gosse qui allait souffrir de cette enfance durant toute sa vie. Bien qu'à partir de dix-huit ans, ils ne pouvaient plus rien faire. Stoner avait fini par comprendre qu'il ne connaîtrait jamais l'identité de son père et pourtant, il avait fini par l'accepter. Ce n'était pas vraiment une question de choix, de toute façon. Il avait de la peine à s'intégrer dans les établissements scolaires, préférant s'enfermer dans le silence le plus total. Et puisque personne n'arrivait à comprendre cet enfant qui ne parlait pas beaucoup, il fût ballotté d'une famille à l'autre, sans avoir le droit de dire stop.

You can't save me.

Dix-huit ans. La plupart des gens attendent cet âge avec une impatience non dissimulée. D'autres, ont simplement peur des lendemains que la majorité apporte dans ses valises avec l'incertitude. Austin, au fil des années, s'était créé une solide carapace, dans laquelle il se réfugiait dès qu'il se sentait en danger. Il avait fini par tirer un trait sur certaines choses, et commençait doucement à s'en sortir. Le jeune homme s'était jeté à corps et âme dans la musique, seule chose qui lui permettait de s'évader un peu. Le temps aidant à cicatriser les blessures, il s'était donné les moyens d'entreprendre et de réussir ses études. Pour la suite, il avait songé à changer de ville, voire d'État. Puis, avec ses économies, il décida de prendre un billet d'avion en direction de Sydney, pour changer totalement de vie. En espérant que la vie lui autoriserait un peu de bonheur, juste pour une fois dans sa vie.